mardi 20 janvier 2009

Da Vinci inédit


La nouvelle n'a pas pu être longtemps tenue secrète : grâce aux travaux réalisés conjointement par le Centre de recherche et de restauration des musées de France et le CNRS, trois dessins inédits ont été découverts au revers d'un des tableaux les plus célèbres de Léonard de Vinci conservé au Musée du Louvre, La Vierge avec l'Enfant Jesus et sainte Anne. A l'occasion des réexamens récemment menés sur les tableaux du maître italien, un conservateur a remarqué deux dessins, peu visibles, représentant une tête de cheval et une moitié de crâne. La caméra réflectographique infrarouge a aussi révélé un Enfant Jésus jouant avec un agneau. C'est le premier exemple, pour Léonard, de dessins effectués au revers d'un tableau. Une journée publique consacrée aux recherches menées sur son oeuvre sera organisée à l'auditorium du Musée du Louvre en juin 2009.

dimanche 21 décembre 2008

Figure Décorative sur Fond Ornemental, Matisse

MATISSE Figure décorative sur Fond ornemental
1925-1926
Huile sur toile
130 x 98 cm
Musée National d'Art Moderne,
Centre Georges Pompidou, Paris

Dans le déroulement logique de l'apprentissage et de la connaissance, tout spectateur est tenté de mettre un nom sur ce qu'il voit, et souvent de façon machinale lorsque la représentation se désigne elle-même, lorsqu'elle dévoile ses indices comme dans tout tableau académique. Ainsi le sujet est d'importance : il est historique ou mythologique, et lorsqu'il ne l'est pas, lorsqu'il ne représenterait qu'un nu, celui-ci serait encore lisible par ses règles prescrites de représentation. Mais ici, le titre semble à première vue mettre à mal le sujet du tableau, et donc son importance. Si Manet l'avait déjà fait avec son Olympia, pastichant ainsi un Titien ou un Goya (La Maja Desnuda), Matisse semble ici donner une autre dimension à cette recatégorisation du sujet : celle de la dérision.

Mais en est-ce bien ainsi ? Certes, le titre de l'oeuvre invite à catégoriser cette dernière au rang des plus médiocres, du moins de celles de peu d'intérêt : elle ne serait plus que "décorative", délestée de toute spiritualité, de tout intellectualisme. En même temps, le titre semble dénoncer du même coup la banalité de ce sujet qu'est le nu féminin, et de façon provocatrice se propose de le représenter pour ce qu'il est devenu, à force d'usage. Cause de trop d'Académisme sans doute?

Il apparait donc que sous couvert d'un sujet banal, somme toute peu digne d'attention, ce soit une peinture qui parle d'elle-même, critique de son histoire dont il est ici question. Et une oeuvre critique place en règle générale la majeure partie de sa narration dans un au-delà de la représentation, dans un hors-champ réflexif.

Il est évident qu'à première vue l'oeuvre se propose de détrôner tout précepte académique. Tout d'abord, elle paraît confuse. La prolifération des formes et des couleurs en est la cause première. Ne répondant à aucune norme de hiérarchisation dans l'organisation de l'espce qui soit apparentable aux tableaux académiques, le spectateur doit faire lui-même l'effort de la distinction.
Ceci est paradoxal, car les formes sont marquées de façon soutenue : l'espace est géométrisé, les formes soulignées de noir se détachent les unes des autres. C'est pourtant cette utilisation du noir qui trouble l'oeil : certes, ce noir, considéré précédemment par Matisse comme une couleur, divise. Mais il met aussi en valeur, en lumière les formes qui par conséquent se détachent toutes, semblent sortir d'un non espace, d'un "no shape's land". En effet, la surface de la toile est prise dans sa planéité. La représentation se fait ainsi par l'utilisation de larges applats, qui tendent à faire se confondre les plans. Et même, les motifs sur le mur du fond ne semblent répondre à rien d'existant.
De même pour les couleurs, lesquelles à l'évidence ne respectent pas les règles de séduction académiques, qui veulent que l'entrée du spectateur dans l'oeuvre soit des plus naturelles, nécessitant ainsi pour le peintre l'usage de camaïeux, de dégradés de couleur. Ici les couleurs sont quasimment criardes, presque traitées de façon primaire, à la manière des Nabis, ces puristes de la couleur, et si elles se répondent les unes aux autres, c'est de façon brutale, presque sauvage. Le jaune du miroir rappelle ainsi celui des fruits mais ce sont des objets opposés sur la toile. C'est en fait que Matisse se réfère aux recherches de Chevreul sur la simultanéité de perception des objets de couleur dans un environnement précis : il met par exemple en rapport direct les couleurs rouge et verte, ainsi que jaune et bleu.
Aussi, ces couleurs primaires, ou quasi puisque le vert n'en est pas une, presque criardes, semblent vouloir éclater dans cet espace figé, surligné, presque étouffant, vouloir s'échapper de ces traits noirs qui les retiennent comme prisonnières. Cette fusion de l'énergie de la couleur et de la staticité du trait, c'est cela qui provoque la confusion. Le conflit entre couleur et dessin (actif dès le XVIIème siècle) s'opère ici dans la perception visuelle mais est désamorcé par leur cohabitation et leur interdépendance au sein d'un même tableau : celui-ci.

C'est ainsi que par une dynamique picturale illustrant les questions primaires de l'histoire de la peinture, Matisse inscrit l'histoire comme décor de cette oeuvre. L'oeuvre se retrouve insérée dans un processus de décor dans le décor. Le passé académique dialogue alors avec la modernité. La poitrine de la figure représentée semble répondre au panier de fruits placé sur la partie inférieure centrale du tableau, c'est à dire à une place "seuil" de l'oeuvre. Elle semble être une citation directe de Cézanne, qui avait ce sujet comme prédilection dans ses nombreuses natures mortes et qui effectivement a contribué grandement à la géométrisation des formes et à cette idée de délimitation des formes par le noir. De plus, ce peintre était à l'affût de la géométrie courbe, parallèlement aux recherches scientifiques de son temps : Poincarré en est un exemple. Dans ce tableau se déploie de ce fait tout un jeu de courbes et de contre-courbes, poussé jusqu'à l'excès, puisqu'à bien y regarder, les lignes droites sont rares. A cause de la confusion des plans elles forment un sol quasi vertical, semblant faire partie du même espace que celui qu'occupe le mur. De même le miroir, qui scinde le tableau puisque qu'il marque de l'un de ses bords l'axe central du tableau, se perd dans le décor : sa forme se répète dans la trame de fond.
Mais le tableau semble aussi dans sa dynamique amener vers un extérieur: déjà l'on pressent que le décor coupé par les limites de la toile pourrait être continué. Le spectateur comme Parque seconde à la trame picturale, est renvoyé à un hors-champ. Les lignes orangées se poursuivent dans un ailleurs et en même temps s'appellent les unes les autres, rappelant I Stati d'animo de Boccioni. Cet ailleurs, on le retrouve à plusieurs niveaux dans la démarche picturale, mais toujours en référence à d'autres arts. La peinture se pense par rapport à son histoire, mais aussi par rapport aux autres arts.
Ainsi cette femme, déhumanisée, banalisée puisqu'il ne s'agit plus que d'une "figure", est aussi sculpturalisée. Elle repose sur une cuisse si volumineuse qu'elle paraît être un socle. Elle est l'incarnation du volume dans ce monde plat et protéiforme, et pourtant elle n'a pas de consistance : il n'y a que l'idée de son reflet dans le miroir. Idée de reflet ou idée de mouvement dans ce qui devrait être statique ?

Cette accentuation du phénomène de déréalité montre la puissance de cette peinture qui se veut à la fois sculpturale mais vivante, historique mais vibrante, par rapport à une photographie qui se targue de refléter la réalité. L'oeuvre se révèle spirituelle quand elle se désignait superficielle, ornementative. Elle se fait réhabilitation de la peinture, dans une apparente simplicité, dans un apparent désordre qui se trouve être en fait savamment agencé. Elle se fait noeud de l'histoire, de la propre trame qu'elle choisit de se tisser.